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Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme : les obligations des professionnels de l’immobilier

5 mai 2020

Au regard des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, des opérations douteuses peuvent avoir lieu dans de nombreux secteurs d’activité. Mais ce que vous ignorez peut-être, c’est que le secteur de l’immobilier est particulièrement exposé à ces risques, et que votre profession fait partie d’une courte liste des métiers impliqués dans ce type d’opérations (liste définie par le Code monétaire et financier) et soumis à un certain nombre d’obligations.

Dans le cadre de votre activité, vous pouvez donc être amené à faire une déclaration auprès de Tracfin si une opération de vente, d’achat ou de location vous semble suspecte. D’ailleurs, une attitude proactive à l’encontre du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme n’est pas seulement recommandée ou attendue : cela fait pleinement partie des obligations de l’agent immobilier, qui le contraignent à exiger de ses clients certaines informations, et à mettre en place des protocoles de contrôle adaptés. Explications.

Les obligations de l’agent immobilier au regard des risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme

En tant que professionnel de l’immobilier, vous ignorez sans doute vos obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT, pour faire court). Or, tous les professionnels du secteur sont assujettis à ces obligations par la loi du 2 juillet 1998, à l’instar des autres métiers qui sont au cœur d’échanges financiers comme les avocats, les notaires, les experts-comptables, les opérateurs de jeux d’argent ou de hasard, etc. À ce titre, les obligations de l’agent immobilier (comme des autres professionnels concernés) sont définies par le Code monétaire et financier.

Or, ignorance ne vaut pas exonération. « Nul n’est censé ignorer la loi », dit-on, et les agences immobilières en font très souvent les frais au regard de la LCB/FT. Depuis 2014, la Commission nationale des sanctions, chargée de sévir à l’encontre des entreprises qui ne respectent pas ces obligations, constate qu’une grande partie des manquements vient des agents immobiliers : sur 128 condamnations prononcées en 2018, 89 ont concerné des professionnels du secteur, avec 33 interdictions d’exercer (lire l’interview du président de la Commission dans cet article).

Les manquements relevés par la Commission ont trait à la méconnaissance de leurs obligations par les agents immobiliers. En substance, ceux-ci sont conscients de l’existence d’une réglementation au regard des risques de LCB/FT, mais ignorent qu’ils sont directement concernés et qu’ils sont censés alerter les autorités en cas de soupçon attaché à une opération de vente, d’achat, de location ou de gestion. Tous les métiers de la transaction, de la location et du syndic sont assujettis à ces obligations : dirigeants, négociateurs, salariés, indépendants, mandataires, têtes de réseaux, etc.

Le risque, en ce qui vous concerne, c’est d’être considéré comme acteur (même involontaire) d’une opération de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme, faute d’avoir déclaré vos soupçons à Tracfin, ou d’avoir tenu compte des signaux qui témoignaient d’une opération douteuse en cours.

Opérations douteuses : de quoi parle-t-on ?

Les obligations de l’agent immobilier au regard de la LCB/FT le contraignent à déclarer tout soupçon d’opération douteuse en cours ou terminée.

Mais qu’entend-on par « opération douteuse » ? Votre suspicion peut être éveillée…

  • Si le prix de vente d’un bien immobilier vous semble anormalement bas au regard du marché.
  • S’il existe un décalage important entre la valeur du bien immobilier qui fait l’objet d’une opération d’achat, et le profil financier de l’acquéreur (un chômeur qui s’apprêterait à acheter un hôtel particulier au cœur de Paris – pour prendre un exemple extrême).
  • Si le montage financier ou juridique lié à l’opération vous semble anormalement complexe.
  • Si le comportement du client vous paraît suspect ou inhabituel (quelqu’un qui achète et revend plusieurs fois sa résidence principale dans des délais très courts, un acquéreur qui se désiste rapidement et de manière répétée dans plusieurs dossiers après le versement d’un dépôt de garantie qu’il récupère ensuite sur un compte bancaire différent, etc.).
  • Si l’opération émane d’une personne physique ou morale installée dans un pays inscrit sur la liste du Gafi ou considéré comme une zone de guerre.

Dans ces différents cas de figure, un soupçon légitime de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme peut être éveillé. Vos obligations d’agent immobilier doivent alors vous pousser à agir sans attendre, même s’il ne s’agit que de suspicions – vous n’avez pas besoin d’avancer des preuves pour signaler une opération à Tracfin.

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Comment respecter vos obligations ?

Concrètement, il y a trois actions principales à mettre en place pour respecter vos obligations d’agent immobilier au regard de la LCB/FT : former vos équipes, mettre en place un système d’évaluation et de gestion des risques, et faire remonter vos soupçons à Tracfin.

La formation des équipes passe par une mise à jour des connaissances relatives aux risques encourus par les professionnels concernés par des échanges financiers. Il existe des modules de formation Tracfin en e-learning à partager avec les collaborateurs. Ceux-ci doivent également être au fait de la procédure d’évaluation et de gestion des risques établie au sein de leur structure.

La mise en place d’un système d’évaluation est plus complexe. Il s’agit d’établir une cartographie des risques en fonction de votre activité et des profils clients avec lesquels vous êtes amené à traiter, de façon à identifier les différents niveaux de vigilance et à leur opposer des comportements adéquats.

Grosso modo, il vous faut définir des protocoles internes ayant pour objectif d’identifier les typologies de clients à risque, de repérer les catégories d’opérations qui pourraient faire l’objet de soupçons, et de vérifier l’origine des fonds injectés dans une transaction. Pour cela, quatre paramètres doivent être pris en compte :

  • La nature de votre activité (taille, type d’organisation, nature des services proposés, canaux de communication et de distribution…).
  • Le profil de votre clientèle, qu’il s’agisse d’une personne physique (lieu de résidence, activité professionnelle, âge, degré d’exposition politique, niveaux de revenus et de patrimoine, présence physique durant l’opération) ou d’une personne morale (pays d’installation, secteur d’activité, nature juridique, date de création…).
  • Les opérations douteuses (voir la liste dressée plus haut).
  • L’origine des fonds (paiement comptant, crédit bancaire, prêt interpersonnel, provenance géographique des fonds, etc.).

Ces paramètres vous permettent d’établir une échelle de risque associée à un degré de vigilance. Cette échelle peut, par exemple, différencier quatre niveaux de risque : normal, élevé, conséquent, absolu, avec, chaque fois, le degré de vigilance appliqué : pas de vigilance particulière, vigilance accrue, vigilance renforcée, refus de mener à bien l’opération.

Prenons l’exemple d’un acheteur souhaitant investir en France, mais habitant lui-même dans un pays signalé par le Gafi. En outre, vous n’avez aucun justificatif de situation professionnelle. Cette opération fait l’objet d’un risque de niveau 3 (élevé), lui-même supposant de votre part une vigilance renforcée avec vérification de l’identité de l’acheteur, contrôle de la provenance des fonds, demande de justificatifs adaptés… et signalement auprès de Tracfin.

C’est la troisième et dernière action à réaliser pour respecter vos obligations d’agent immobilier : faire remonter vos soupçons d’opération douteuse à Tracfin, qui est un organisme rattaché au ministère de l’Économie, si possible avant son aboutissement ou peu de temps après sa conclusion (ou son annulation, le cas échéant). Cela, en faisant une déclaration sur la plateforme dédiée.

Dans ce cas particulier, vous devez archiver et conserver les documents et informations de vos clients pendant une période de cinq ans afin de justifier les décisions que vous avez prises – rassurez-vous, cela n’entre pas en contradiction avec les exigences relatives au RGPD.

Désormais, vous connaissez vos obligations. N’oubliez pas de partager cette connaissance avec vos équipes !

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