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Tendances immobilières : le coliving, c’est quoi ?

22 mai 2019

« Réinventer l’habitat. » C’est l’ambition affichée par une nouvelle tendance qui déferle sur le secteur de l’immobilier : le coliving. Encore discret, ce concept venu des États-Unis séduit par son principe (mélanger colocation classique et coworking), son accessibilité (habiter au cœur d’une grande ville sans devoir y laisser un rein en guise de loyer) et sa qualité de vie (des services dignes d’un hôtel).

Mais qu’est-ce que c’est, précisément, le coliving ? Faut-il y voir un simple effet de mode ou la perspective d’un changement durable dans la façon de concevoir l’habitat ? Voici quelques éléments de réponse.

Le coliving : une nouvelle manière de vivre ensemble

Le coliving est un mélange entre la colocation, l’hôtellerie et le coworking (pour rappel : le coworking, c’est le fait de partager un espace de travail en commun, que l’on soit un freelance ou une petite entreprise). C’est une évolution naturelle du principe ancestral de colocation, qui prend acte des grands changements récents du secteur – et notamment du fait que les « colocs » ne sont plus du tout réservées aux étudiants : à Paris, on estime que 50 % des personnes vivant en colocation sont des salariés.

Concrètement, le concept de coliving en revient à partager un espace de vie et des services. D’un côté, on a un appartement indépendant, généralement un studio, parfois un deux ou trois pièces, doté de toutes les commodités (salle de bain, kitchenette). De l’autre, on a des parties communes dont tous les résidents peuvent profiter : salon, salle à manger, salle de détente, espaces de travail ou de réunion, etc. Le gros « plus » du coliving, c’est la mise à disposition de services divers, comme une connexion Internet ultra-rapide, l’accès à un service de streaming (type Netflix), une salle de gym, des cours de yoga, mais aussi le ménage ou le changement du linge de maison (draps, serviettes). L’idée, c’est de libérer les résidents des tâches administratives chronophages, comme de payer ses factures d’électricité ou de chauffage.

Là où le coliving va plus loin que la colocation, c’est en jouant à fond la carte de la communauté. Les espaces de coliving ne proposent pas seulement des services mutualisés. Ils encouragent au partage d’événements de la vie quotidienne : repas pris en commun, cours collectifs, conférences, soirées cartes-jeux de société. Soit l’utopie du « vivre ensemble » réactivée et greffée à des immeubles neufs, modernes et écologiques, dans lesquels on ouvre l’espace en commun tout en réduisant l’espace privatif à sa portion congrue. Ne pas participer aux activités, c’est se mettre au ban de la communauté.

Dans les faits, comment ça se passe ? À New York et Washington, WeLive propose un espace personnel réduit ou un appartement privatif (du studio au quatre pièces) ainsi que des services mutualisés, le tout géré par une sorte de « manager de coloc » qui organise des activités à la façon d’un GO. La référence aux clubs de vacances n’est d’ailleurs pas anodine : sur la home de son site web, Ollie formule la promesse d’un coliving « all inclusive ». Reste à savoir s’il faut porter un bracelet d’une certaine couleur pour accéder au bar à volonté…

À Paris, où le concept commence à faire florès, il y a Colonies. Studio privé, espaces partagés, services haut de gamme… Et la promesse d’une « communauté vibrante » avec « des personnes venues des quatre coins du monde ». L’occasion de constater à quel point les prestataires insistent sur la dimension sociale et communautaire de leur offre. Ainsi, le site web d’Ollie ne propose pas de découvrir ses immeubles ville par ville, mais bien d’ « explorer [ses] communautés ». L’autre aspect sur lequel les professionnels du coliving mettent l’accent, c’est la simplicité du procédé. Colonies estime par exemple que « trouver son appartement et emménager est aussi simple que de commander un taxi ». Une promesse plus que séduisante, d’autant que les démarches pour entrer dans ces communautés sont souvent réduites à leur plus simple expression – pas de dépôt de garantie, pas de caution à présenter, etc.

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(© Welive.com)

 

Une transformation de l’habitat qui pose question(s)

On comprend bien que l’idée du coliving est de transformer la manière d’habiter dans la ville, exactement comme le coworking l’a fait pour le travail. La mutualisation permet de faciliter l’accès à des emplacements, en cœur d’agglomération ou dans les zones d’activités prisées, traditionnellement bien trop chers. En ce sens, le coliving se présente comme une solution concrète pour répondre à la crise du logement dans les grandes métropoles, où la rareté du foncier fait bondir la demande, donc les prix.

Mais attention : le coliving n’est pas un habitat « cheap » pour autant. Il faut compter a minima 600 euros en région parisienne pour un minuscule studio. Autour de 1 200 livres à Londres. Et 3 000 dollars à New York. Des prix calés sur le marché résidentiel classique, peu accessibles au commun des mortels. On est loin de l’ambition de départ, exprimée par Claire Flurin, urbaniste et « stratégiste immobilier » : « C’est une véritable nouvelle manière de vivre qu’il faut découvrir, imaginer ou accompagner grâce à des espaces organisés différemment, grâce aux mélanges de populations, d’usages ». Sauf que les prestataires ne partagent pas tout à fait cette vision des choses, ainsi qu’elle l’explique à demi-mots : « Le côté abordable est pour l’instant le moins pris en compte par les marques qui se lancent ». Une façon polie de dire que le coliving est un marché avant d’être une solution d’hébergement. Et que les « mélanges de populations » se réduisent à de la mixité professionnelle ou géographique, mais certainement pas économique ou sociale.

Autre question posée par le coliving : celle de la façon dont l’habitat est désormais « consommé ». Car le coliving ne s’inscrit pas dans la durée. Au contraire, la notion de « logement éphémère » est mise en avant. Les résidents de ces habitats branchés posent leurs valises pour des intervalles de temps plus ou moins courts, pour quelques mois tout au plus, parfois pour quelques nuits seulement. Les cibles ne sont pas des jeunes actifs à la recherche d’une solution de location durable, mais les professionnels en mobilité, les étudiants un peu geeks (voir, plus bas, le concept de « hacker house ») et, plus généralement, tous ceux qui cherchent un logement d’appoint, le temps de trouver autre chose. Comme il y a du fast food, il y a donc désormais une forme de « fast habitat ».

Enfin, le coliving ne dissimule pas un goût pour l’exclusivité que d’aucuns pourraient qualifier de sectarisme. À Ivry, une « hacker house » (littéralement : « maison pour hackers ») propose à ses résidents de rester entre deux et huit mois. Pour avoir la chance d’y dénicher un logement, il faut avoir entre 20 et 35 ans, ni plus, ni moins. Surtout, on ne « loue » pas un appartement dans cette maison-là : on « postule » comme à une offre d’emploi, en attendant d’être « choisi » pour rejoindre la communauté… ou pas, selon que son profil correspond (ou non) aux présupposés du lieu. Idem pour Colonies : pour candidater à un logement, il faut devenir membre : quand on clique sur le bouton dédié, on est invité à laisser son adresse email… et à attendre de recevoir des propositions.

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(© Hacker House Ivry)

 

Vraie disruption ou fausse innovation ?

Tous les points soulevés précédemment amènent à s’interroger sur la pérennité d’un tel modèle.

On le sait : la phrase choc est le propre du startuper ambitieux. Le côté omniscient de la formule n’a donc rien pour surprendre : quand Chris Bledsoe, l’un des fondateurs de Ollie, affirme que « le logement a été disrupté, mais [que] le monde ne le sait pas encore », il cherche avant tout à imposer son concept par la force des idées. Si l’on vous dit que la révolution a déjà eu lieu, vous êtes tenté de le croire. Vous pourriez même regretter d’avoir un métro de retard.

Cette disruption est pourtant loin d’être une révolution. Certes, le coliving propose quelque chose de nouveau, une manière différente de concevoir l’habitat et la vie en commun, avec l’accent mis sur la mutualisation des services et l’émulation créative (mettez plein d’informaticiens en herbe dans un même bâtiment et vous ferez naître des idées). Mais, dans l’absolu, cela reste un concept de petit malin qui puise dans l’économie collaborative, le « vivre ensemble » et le développement des services à la personne, sans (à ce jour) solutionner aucunement les problématiques qui sont censées être à l’origine de son développement. À savoir : les difficultés d’accès au logement, la peur de vivre seul, les loyers inabordables dans les grandes villes.

À l’inverse, on est confronté à une offre qui joue plus ou moins sur l’exclusivité et l’adéquation entre les profils. Au-delà des hacker houses qui réunissent des fanas d’innovation et des freelances IT, on trouve toutes sortes d’initiatives basée sur les centres d’intérêt, la situation professionnelle ou personnelle, ou encore… le sexe des résidents (à l’image de la Super Nana House installée à Bagneux, destinée exclusivement aux femmes). Demain, on peut tout à fait imaginer des « packages » emploi/appartement en coliving proposés par les entreprises à leurs nouvelles recrues, histoire de les aider à prendre leurs marques dans une ville inconnue. Dans ce coliving imaginaire, seuls les employés d’une même société pourraient habiter ensemble. Un rêve d’entrepreneur, peut-être. Mais aussi, sans doute, un cauchemar de salarié.

En attendant, le coliving reste une opportunité en or pour les investisseurs. La forte demande, le taux d’occupation élevé, le turnover régulier qui réduit les risques de vacance locative, et des taux de rentabilité frôlant les 10 %, sont autant de signaux positifs envoyés aux candidats à l’investissement. Voilà au moins une bonne raison donnée aux professionnels de l’immobilier pour s’y intéresser.

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